Quand le stress affecte la vue
La « fluctuation » de la vision, principe de base de la méthode Bates

Nous sommes nombreux à nous apercevoir que nous voyons mieux à certains moments qu’à d’autres, ou moins bien après telle ou telle activité.

L’effort de voir s’exprime par le regard tendu. La fixation des yeux toujours à une même distance (devant un écran d’ordinateur, par exemple) entraîne une fatigue oculaire et une baisse de l’acuité visuelle.

Pour certains d’entre nous, ces fluctuations sont grandes et évidentes, pour d’autres plus subtiles. Selon la tâche ou l’activité à exécuter, suivant que nous la considérons agréable ou désagréable,la variabilité de la réfraction semble être liée au niveau d’attention, d’intention et d’intérêt ainsi qu’au niveau de stress vécu au cours de l’action à mener.

« Dans des conditions d’inconfort mental ou physique telles que douleur, toux, fièvre, inconfort lié à la chaleur ou au froid, conditions de dépression, de colère ou d’anxiété, il se produit toujours des erreurs de réfraction pour l’œil normal, erreurs qui augmentent pour l’œil dans lequel elles existent déjà. » (Bates, p. 79).

Dans son étude du développement de la vision chez le bébé et l’enfant, Arnold Gesell, M.D. a également constaté la variabilité de la réfraction :  «Le système visuel est (donc) un système extrêmement versatile. Il peut fonctionner soit à un niveau primitif, soit à un niveau sublimé, et dans une multitude de constellations entre ces extrêmes. Les problèmes de vision des enfants ne peuvent être évalués sur le simple critère de l’acuité. La vision est le résultat d’un complexe fonctionnel élaboré…» (Gesell, p. 116)

Selon Bates, la tension mentale (stress émotionnel, mental, environnemental) joue un rôle primordial dans ces fluctuations. Il préconisait la détente consciente des yeux, mais aussi celle de l’esprit, et la prise de conscience du fonctionnement visuel afin de l’améliorer dans sa globalité, c’est-à-dire au niveau musculaire, nerveux et cérébral.

«L’esprit est la source de tous ces efforts provenant de sources extérieures et qui s’imposent à l’œil. Toute pensée d’effort de l’esprit, quelle qu’en soit la nature, transmet une impulsion motrice à l’œil ; et chacune de ces impulsions entraîne une modification de la forme normale du globe oculaire et réduit la sensibilité du centre de vision. Si un individu souhaite disposer d’une vision parfaite, il doit donc n’avoir aucune pensée d’effort à l’esprit… si la contrainte prend la forme d’un effort de vision, cela produit toujours une erreur de réfraction». (Bates, p. 109)

Pourquoi ces fluctuations ?

Le regard détendu rend les yeux plus mobiles et prévient la fixité du regard.

La vie n’est pas un fleuve tranquille et chaque être est unique dans ses réponses à son environnement. La première préoccupation est de survivre dans cet environnement, et l’organisme réagit involontairement à ce qu’il définit comme une agression. L’organisme devant une agression, que ce soit émotion, intoxication, chaleur excessive, froid… réagit initialement par une « réaction d’alarme » qui est une mobilisation d’énergie pour se défendre. Dans le cas où la survie est possible, il passe alors à la « phase de résistance » qui appelle à des modifications physiologiques contraires à la « réaction d’alarme ». L’organisme essaie de s’adapter. Cependant, s’il continue à subir l’agression sur une durée prolongée, il y aura la « phase d’épuisement », quand il retrouve les modifications physiologiques lors de la « réaction d’alarme ». C’est ce que Hans Selye a appelé « le syndrome général d’adaptation ». (Selye, P. 53-55) Nous sommes constamment en état d’adaptation, tout le long de la journée, à chaque moment de la vie.

Toute activité peut générer un ou plusieurs facteurs de stress et ceci est naturel à la vie. Il existe du stress agréable (eustress), positif et stimulant comme il existe du stress désagréable (détresse) auquel on pense plus souvent et qui donne au mot même de « stress » une connotation négative.
Qu’en est-il quand il s’agit du fonctionnement visuel ?

L’effet du « stress » ou trauma émotionnel sur la vision.

Parmi les premières modifications physiologiques du corps lors d’un stress sont le rétrécissement du champ visuel, la dilatation des pupilles et l’immobilité du regard.
«L’organisme subit en permanence des changements dans la prédominance de la fonction viscérale ou squelettique. La différence entre les activités sédentaires et l’action musculaire énergique implique non seulement des différences dans la prédominance des composants respectifs du système nerveux, mais également des changements dans les divisions sympathiques et parasympathiques du système autonome lui-même… Sachant que l’organisme dispose de mécanismes homéostatiques intégrés dans pratiquement tous les systèmes afin d’amortir les effets des changements externes et internes, il est tout à fait logique de supposer que le processus visuel devrait disposer du sien également. C’est ce concept de mécanismes homéostatiques qui a changé les considérations sur ce qui était auparavant considéré comme des «défauts oculaires», des «erreurs de réfraction» et des «déséquilibres musculaires». (Forrest, p. 154).

Sans entrer dans les détails des aspects physiologiques du stress visuel, il faut quand même rappeler que les yeux ne sont pas séparés du reste du corps. Ils en font partie et ce qui affectera le corps en général affectera la fonction visuelle. Le lien se fait surtout par le système nerveux dont les deux composantes fonctionnelles majeures sont le somatique (squelettique) et l’autonome (viscéral).  L’aspect somatique du système nerveux contrôle la musculature squelettique du corps, tandis que l’aspect autonome agit plutôt sur les muscles lisses internes. Le système autonome comprend deux sous-systèmes, le sympathique et le parasympathique qui agissent de façon antagoniste afin de maintenir un équilibre.  Si un système stimule, l’autre inhibe.

On trouve donc que ce système d’innervation s’applique également aux yeux, puisque l’accommodation est une fonction du système autonome et qu’elle est le résultat de l’innervation du muscle ciliaire qui contrôle le cristallin de l’œil. Les systèmes sympathique et parasympathique ont donc un effet direct sur les yeux. Chacun des systèmes a une influence sur l’autre.
Ces deux systèmes sont aussi les systèmes impliqués dans le stress.

Forrest décrit :« Les états mentaux (émotions, attitudes, pensée, imaginaire, etc.) sont également fortement liés aux points où l’accommodation tend vers la posture.  Westheimer (1957) a constaté qu’il pouvait augmenter l’accommodation de ses sujets jusqu’à 1 dioptrie pour des périodes pouvant aller jusqu’à cinq minutes après les avoir insultés.  Malmstrom et Randle (1976) furent en mesure d’accélérer ou de retarder le champ vide inévitable vers lequel la myopie dérive pour atteindre une valeur de repos de 1 dioptrie en demandant à ses sujets d’utiliser l’imagerie visuelle et de « penser près » ou de « penser loin ». Liebowitz (1977) a constaté que l’anxiété et la colère conduisent généralement à une augmentation de l’accommodation.  Costello (1974) a constaté que l’observation de diapositives d’accidents automobiles avait tendance à induire une augmentation de l’accommodation alors que les procédures de relaxation favorisaient une réduction de l’accommodation ». (Forrest, p. 176)

Si l’état du stress est transitoire et l’agent “stresseur” est éliminé, l’adaptation est encore réversible et l’organisme retrouve son fonctionnement original.  Cependant, si l’organisme est maintenu en état de stress sur une durée prolongée, les changements physiologiques tendent à devenir plus structurés et les habitudes s’installent.  Si l’agent « stresseur » est vécu plus fréquemment, si notre attitude est plus ou moins tendue, ou si on a des sentiments négatifs lors de l’exécution d’une tâche, la réponse d’adaptation devient moins réversible et se transforme en réaction acquise.

Afin de comprendre cette variabilité de la fonction visuelle selon l’état de la personne, ou l’état de stress qu’elle vit, il est intéressant de regarder l’effet physiologique sur les yeux, et particulièrement les recherches récentes de Joseph Demer sur l’anatomie des muscles orbitaux et péribulbaires. Il s’agit de la forme de la capsule de Tenon, la structure myofasciale qui, à l’intérieur de l’orbite, enveloppe le globe oculaire et le maintient au milieu de l’orbite.  Sur la base d’une série d’observations histologiques, anatomiques et neuro-radiologiques, Demer et ses collègues ont constaté que chacun des quatre muscles extrinsèques droits passe à travers une poulie comme une manche qui se trouve à l’intérieur des régions périphériques de la capsule de Tenon.  Ces poulies agissent d’une manière similaire à celle du muscle oblique supérieur.  Ceci a des conséquences biomécaniques importantes sur le mouvement oculaire.  Ces structures sont liées l’une à l’autre par des structures myofasciales jusqu’ici inconnues, à savoir des petites bandes de tissus fibreux, élastine et muscle lisse.  Faisant ceinture autour du globe oculaire, ces structures ayant des propriétés contractiles sont richement innervées par le système autonome et ont une capacité à déformer le globe oculaire lors d’une contraction simultanée. Le système autonome avec ses divisions sympathique et parasympathique, est affecté par les émotions et influence directement les yeux et la vue (Demer).

Regard tendu : Nous pouvons donc agir nous-mêmes sur nos yeux afin de maintenir notre capital de santé visuelle par l’application des principes de la méthode Bates.

En tenant compte du lien entre la vue et les réponses d’adaptation à l’environnement de la personnalité, il est intéressant de lire les études sur la recherche en psychophysiologie auprès des sujets souffrant de « personnalités multiples ». Un certain nombre d’études ont été effectuées chez ces personnes qui, selon leur « alter » personnalité, manifestaient des différences psychophysiologiques à tous les niveaux : activité électrique cérébrale, température de la peau, fonction de la thyroïde, voix, posture, perception, fonction visuelle …

L’étude des ces modifications a révélé et mesuré une variabilité dans l’acuité visuelle, la réfraction, l’équilibre musculaire de l’œil, le champ visuel, la courbe cornéenne, la réaction pupillaire. Ces changements ont été observés chaque fois que le sujet changeait d’un état de personnalité à un autre. (Miller)

Ceci montre que l’erreur de réfraction chez un sujet n’est pas immuable, qu’elle peut varier selon son état d’esprit et la façon dont le sujet appréhende le monde qui l’entoure.  Cette observation prend de l’importance dans le cas de l’examen visuel de routine qui peut être un stress en lui-même et avoir une incidence sur la correction optique prescrite. «La répétition de certains tests à différents moments au cours de l’examen induisait souvent des résultats légèrement différents». (Forrest, P. 200.)

Conclusion

 

Regard sans effort Elle remet les yeux à leur juste place, où ils font partie intégrante d’un organisme global. Elle permet également de réduire la dépendance des lunettes, d’éviter l’augmentation de la correction, de la baisser, voire même de ne plus les porter.

L’approche de la méthode Bates dans la prévention de la fatigue oculaire et l’amélioration de la vision sans lunettes est réellement pertinente dans notre monde de sollicitations visuelles excessives.

Le processus éducatif de la méthode permet de comprendre et de gérer l’utilisation quotidienne des yeux, l’excès de stimulation, le manque de repos ou encore le lien entre les émotions et la vue, et de considérer avec plus de respect cet organe dont on a tendance à abuser par une sollicitation constante.

De la même manière qu’enfin on conseille la consommation de cinq fruits et légumes par jour pour bien se nourrir, de faire de l’exercice ou du sport pour maintenir la santé du corps, on apprendra à connaître ses yeux, à les sentir, à noter comment nous plaçons le regard, comment nous réagissons à notre environnement, comment nous pouvons devenir conscients de notre vision. Et c’est cet apprentissage conscient qui permettra à chacun d’entre nous de mieux prendre soin des yeux, cet organe si important et si merveilleux.

Références

  • Bates W.H. Dr., M.D., The Cure of Imperfect Sight by Treatment without Glasses, Central Fixation Publishing Co. N.Y., 1920
  • Forrest Elliott B., O.D., Stress and Vision, Optometric Extension Program Foundation, 1988
  • Gesell Arnold, M.D., Frances L. Ilg, M.D., Glenna E. Bullis, Vision : Its development in infant and child, Optometric Extension Program Foundation, 1949
  • Miller, Scott D., Optical Differences in Cases of Multiple Personality Disorder, The Journal of Nervous and Mental Disease, Vol.177, n°8, 1989
  • Miller, Scott D. & Patrick J. Triggiano, The Psychophysiological Investigation of Multiple Personality Disorder: Review and Update, American Journal of Clinical Hypnosis, Vol.35 N°1, juillet 1992
  • Selye Hans, Le Stress de la Vie, Editions Gallimard, 1975